L'après-midi était déjà bien entamé, pourtant Juliet émergeait seulement. S'étirant dans son lit, elle devina le soleil derrière les rideaux, qui donnaient à la pièce une couleur orangée. Son réveil lui indiqua alors qu'elle avait bien (trop) dormir. Comme d'habitude, les images de la veille lui revinrent alors. Floues, douteuses et mélangées, Juliet y remarqua un homme. Aussitôt, elle souleva prestement sa couette avant de respirer un grand coup, soulagée : personne ne s'y cachait. Noah et elle avaient entrepris un jeu dangereux, celui de montrer à l'autre qui était celui le moins attaché. Sauf que, à chaque fois qu'un étranger était invité dans la maison, dans le lit de Juliet ou celui de Noah, s'en suivait de grandes disputes, ponctuées de "non je ne suis pas jalouse" et de "tu n'es qu'une traînée". Le souvenir de la sonnerie de son téléphone lui revint alors en mémoire, comme si ce fameux bruit était la cause de son réveil. Effectivement, Naomi l'avait text, il y a quelques minutes. Un message si bref sous-entendait forcément des nouvelles toutes fraiches, alors Juliet répondit rapidement par l'affirmative, avant de se lever prestement pour se préparer.

Une fois présentable, elle sortit de sa chambre, Noah était introuvable dans la maison. La princesse jura, excédée par cette façon qu'il avait de toujours disparaitre sans prévenir. Elle trouva alors un mot dans la cuisine, il était avec une certaine Priscilla. Juliet avait donc vraiment vraiment besoin de nouvelles toutes fraiches. Elle chiffonna le papier pour l'envoyer dans la poubelle, à défaut de pouvoir le faire avec la tête de cette fameuse Priscilla, qui qu'elle soit. Au même moment, on sonna. Enfin, Naomi arrivait sans trop la faire attendre, un bon pour pour elle. A peine Juliet eut-elle ouvert qu'elle fut attaquée par un flot de paroles. L'ouragan Rebecca avait encore frappé, de quoi satisfaire la curiosité de la blonde. Elle indiqua à son amie le salon, avant de prendre place dans le canapé. « Raconte moi ce qui s'est passé, on va finir par le trouver, ce plan fatal pour l'éliminer ! Mais calme toi d'abord, ou je ne vais rien comprendre à tes paroles » Sympathique, Juliet n'en restait pas moins Juliet, et elle avait prononcé sa dernière phrase sur le ton le plus sérieux du monde. A chaque fois que Naomi croisait Rebecca, elle était tellement énervée qu'elle enchaînait les mots sans vérifier que ses phrases aient du sens. Une perte de temps pour Juliet, qui détestait ça.

A peine Naomi fut-elle installée qu'elle questionna Juliet sur Noah. La blondinette leva les yeux au ciel, excédée. « Tu viens avec des histoires intéressantes et tu gâches tout en évoquant cet idiot ! Non il n'est pas là, si ça peut te rassurer » La relation des deux colocataires était particulière. A côté d'eux, un chat et un chien s'entendaient mieux. A côté d'eux, la guerre froide n'était qu'une vulgaire dispute de gamins dans la cour de récré. Pourtant, quand Naomi avait simplement suggéré à son amie de déménager, celle-ci était entrée dans une fureur effrayante et injustifiée. La vétérinaire avait vite changé de sujet, et Noah était devenu un sujet houleux. En fait, Noah était un sujet que Juliet ne souhaitait aborder avec personne. Pire, c'était un sujet qu'elle ne voulait pas aborder tout court, le croiser chez elle était déjà bien suffisant. Leur problème, c'est qu'aucun ne serait jamais le premier à partir, à hisser le drapeau blanc et à perdre la bataille. Chacun s'appliquait à rendre la vie de l'autre infernale, et déménager serait comme se rendre. Inconcevable, même pour toutes les raisons du monde. Et personne ne savait comment leur histoire impossible finirait, même si Juliet ne s'imaginait pas encore ici, à cinquante balais passés, à engueuler Noah parce qu'il avait débarqué dans sa chambre la veille alors que - en bonne cougar - elle se tapait un petit jeune. Un jour, un évènement déclencheur mais encore inconnu viendrait briser cet équilibre vacillant. Mais pour l'heure, l'histoire continuait, au grand damne et à la grande joie de Juliet. Paradoxalement.

Naomi crut déceler l'agacement certain que sa remarque anodine avait provoquée chez Juliet. D'elle même, elle reprit de plus belle ses plaintes sur la petite amie de son meilleur ami. Déjà, ce terme l'amusait. La blonde avait toujours eu des idées claires et arrêtées sur l'amitié homme/femme : elle ne peut pas exister, excepté quand les deux protagonistes sont laids. Naomi était une jolie fille, Ethan plutôt bel homme, leur amitié avait donc - par définition - des limites. Et un exemple de limite, était cette jalousie sans nom que Naomi éprouvait pour Rebecca. Pour Juliet, tout était clair : Naomi attendait plus de Ethan. Peut-être était elle encore dans le déni, mais elle ne vouerait pas une telle haine envers sa principale ennemie, si Ethan était juste un ami. Et surtout, s'il en était un, c'est avec lui qu'elle aurait cette discussion présente. Mais elle avait peur d'évoquer ce sujet, peur d'entendre des phrases bateaux mais douloureuses. "Mais je l'aime tu comprends" ou "Je ne me vois pas passer ma vie sans elle, désolée". Des phrases qui anéantiraient une amie amoureuse, au lieu de révolter une amie sans sentiments tendancieux. « Pourquoi tu ne lui demandes pas tout simplement, ce qu'il lui trouve ? Si tu es vraiment sa meilleure amie, et que cette fille est une garce avec toi, il ne la laissera pas agir ainsi. » La relation meilleure amie-petite amie, encore plus difficile à gérer pour un garçon, que celle qui unissait sa mère à sa dulcinée. « Ou sinon, la manière forte, serait simplement d'inciter Rebecca à faire sa pute, et que Ethan assiste à la scène, comme par hasard » Un sourire machiavélique se dessinait déjà sur ses lèvres. La discussion allait prendre un tournant fort intéressant, et distrayant. Certes, ce dessein servirait la situation de Naomi mais, surtout, elle ferait du mal à Rebecca. Et quelle plus grande satisfaction que ce sentiment de supériorité qui se dégage de la souffrance d'autrui.