- Lua? Viens voir par ici, ma chérie.
- J'arrive, papa !
Alec Fleming sourit en voyant sa fille débouler dans le salon. A seulement quatre ans, la petite était déjà dotée d'une énergie peu commune. Echevelée, les joues rosies, Lua devait encore débarquer d'une course endiablée avec ses peluches. Chère petite. Elle ressemblait tant à sa mère, Emily, décédée dans un accident de voiture trois ans plus tôt.
- Alors, petite canaille, qu'est-ce que tu dirais si on t'inscrivait à une activité sportive?
Un grand sourire creusa les fossettes aux coins des lèvres de la fillette. Elle avait passé la quasi-totalité de l'année passée à tanner son père pour qu'il la laisse aller au club sportif de l'école maternelle. Lua courut s'assoir sur les genoux de son père et fixa intensément la brochure, dans l'espoir de pouvoir déchiffrer les mots qui s'étalaient sur le papier glacé. A chaque sport proposé, en face des horaires et des modalités d'inscription, correspondait un dessin. En bas de la page, la dernière illustration figurait une fillette faisant le grand écart, une deuxième exécutant une roue, et la troisième accrochée à des barres.
- Laquelle te ferait plaisir, dis-moi?
- Celle- là.
Elle pointait du doigt la dernière illustration.
- La gym? Très bien, alors partons pour la gym.

Elle n'avait pas tremblé une seule fois. Toutes ses figures avaient été parfaitement maîtrisées et réceptionnées. Toute la matinée, elle avait senti le regard de son père, attentif à chacun de ses mouvements, encouragement perpétuel. Il n'y avait pas de raisons.  
A dix ans, Lua participait à sa première compétition de gymnastique junior, organisée dans le gymnase communal de Plymouth. Les résultats avaient été donnés, mais le jury débattait encore sur la première place.
La fillette se contentait de fermer les yeux le plus fort possible, s'accrochant désespérément au banc sous ses fesses, où elle était assise avec sa concurrente. Si seulement... Ils seraient si fiers d'elle, tous. Son père, bien sûr, mais aussi Spencer. Ce cher Spencer, le grand frère qu'elle n'avait jamais eu. Il serait tellement heureux de voir le trophée exposé au-dessus de l'armoire, dans la chambre de la fillette. Si fier.
Elle devait gagner. Il le fallait.
- Après de longues et pénibles délibérations...
Voilà. C'était le moment. Les oreilles de Lua se mirent à bourdonner, elle n'entendait plus rien, le cœur battant si fort entre ses côtes qu'elle avait l'impression que l'on n'entendait que ça dans l'immense salle, que sa poitrine allait exploser.
"Maman, je t'en prie, reste avec moi. S'il te plaît."
Une main sur son épaule, des bras qui l'enserraient. Des vivas de partout. Des dizaines de doigts qui la poussaient dans le dos. En direction de la première marche.
Elle avait gagné. La première compétition de sa vie, pour laquelle elle s'était tant entraînée, sans relâche, jusqu'à atteindre un début de perfection - elle l'avait gagnée.
Rayonnante, pleine d'une joie ineffable qui manquait de la faire exploser, Lua monta sur le podium, prit la coupe qu'on lui tendait entre ses mains. Son premier trophée.
"Merci, maman."

- Lua ! Ça y est, je l'ai! On s'en va au soleil, en Italie! C'est super, n'est-ce pas, ma puce?
Alec parlait de sa mutation, bien sûr. Cela faisait des mois qu'il avait déposé sa demande, et il avait enfin la réponse. Lua l'avait compris tout de suite. Un grand sourire s'afficha sur ses lèvres. Et si...
- Où ça, en Italie?
Heather, une fille qu'elle avait rencontrée au détour d'un changement d'avion après une compétition de gym - l'autre allait à un concours de chant -, habitait là-bas. Les deux filles s'entendaient super bien et, malgré la distance, elles avaient gardé contact.
- San Sombrèro, une petite île pas très loin des côtes.
Comme quoi, le hasard fait bien les choses.
Même si elle allait devoir quitter ses amis et son club de gym, Lua était contente. Elle partait en direction du soleil, chose qui manquait un peu dans ce coin de l'Angleterre. Et puis, elle ne serait pas toute seule, Heather lui ferait découvrir l'île. Lua se dépêcha d'envoyer un mail à son amie pour lui annoncer la nouvelle, puis s'attela à la préparation de ses valises. Il lui faudrait plus de vêtements d'été, sans aucun doute.
Une nouvelle vie allait commencer, et Lua avait hâte qu'elle débute. Comme à chaque fois qu'elle allait vers l'inconnu, un frisson d'adrénaline lui parcourut l'échine. Elle adorait cette sensation.
Tout recommencer, voilà qui lui plaisait. Elle fonçait droit devant elle, insouciante, joyeuse, confiante. Comme toujours.