Boumboumboum. Les basses résonnaient à mes oreilles et dans tous mon corps. J'étais ivre de bonheur, de plaisir et de passion pour la musique qui me faisait trouver là ce soir. DJ depuis quoi, trois ans maintenant, j'avais appris tout l'art du métier -car oui c'en est un, merci Papa de ne pas le reconnaître- et je ne me laissais pas de me trouver en boîte tous les soirs, à mixer pour des inconnus. Pour des jeunes gens ivres et déjantés qui ne cherchent à venir là pour se remuer le derrière ou choper la première belle personne qui passe. Tant qu'ils aiment ma musique, moi j'en demande pas plus. Et j'ai beau les critiquer, on fait tous pareils, n'est-ce pas ? Avant, certes, les jeunes passaient des soirées sans alcool, sans drogue, à danser toute la nuit le madison ou à jouer aux cartes. Certes. Mais aujourd'hui, ce n'est plus pareil. Les seuls danses qu'on connait sont la macarena, le gagnam style et je remue le popotin à toutes les sauces, les seuls jeux de cartes sont ceux pour des jeux d'alcool, et les seuls soirées sans alcool sont celles pour les anniversaires de dix ans. Bref, vous avez compris. Tout ça pour dire que mon métier, il est pas si mal que ça.

Et ce soir, ambiance de folie. Il est de ces soirs là, où la discothèque est bondée, où les jeunes sont particulièrement fous, particulièrement mineurs aussi d'ailleurs, et qui en redemandent jusqu'à cinq heures du matin. Je pouvais prévoir le café, j'allais y rester longtemps. Au début, je ne mixais pas toute la nuit. Juste une heure ou deux, pour voir comment je me débrouillais. Mais plus je mixais, plus les jeunes rentraient,plus ils buvaient, aussi bien qu'au bout d'un moment, je devins vite le buzz du quartier, et la boîte m'offrit un job à temps complet. Et ça, j'en étais assez fier. Et donc ce soir, c'était noir de monde, et cela faisait déjà une heure que je mixais, les gouttes de sueur dégoulinant sur mon front tellement la chaleur était étouffante. De la basse en veux-tu en voilà que j'y allais à fond les ballons, au grand plaisir de la foule, qui apparemment était bien chaude pour se dandiner. Mais je sentais que je n'allais pas tenir long feu, aussi profitai-je du lancement d'un de mes mix déjà enregistrés pour aller prendre rapidement l'air et boire un coup. La chance d'être DJ, c'est d'avoir une petite loge pour toi tout seul, une fenêtre pour respirer de l'air pur et un accès prioritaire au bar. Et ouais. Mais j'étais pas de ce genre de mec trop exigeant, du genre à se la croire supérieur. Non, je ne traitais pas le barman comme de la merde, au contraire, ce qui favorisa bien vite notre amitié d'ailleurs. Bref. Je revenais du bar avec ma bouteille d'eau bien gelée quand j'aperçus un éclat roux dans la foule. Tiens, mais serait-ce ma très chère Scarlett ? Elle était avec des amies, un verre à la main, aussi me contentais-je de la regarder de loin pour le moment. En plus, c'était un peu froid entre nous en ce moment, un de ces nombreux moments où on se parlait pas, en fait. Pourtant on s'adore hein, vraiment. Mais notre amitié est bipolaire, et c'est comme ça.

Mais ce soir, j'étais déterminé à changer les choses, à aller la voir pour reprendre contact. Mais avant que j'ai fait le moindre le mouvement, nos regards se croisèrent, et je vis son regard m'éviter soigneusement. Alors que je lui avais fait un sourire quoi ! Il n'en fallait pas plus pour m'agacer, et je remontais dans ma loge. Si elle ne voulait pas me voir, qu'il en soit ainsi.

J'étais remonté dans ma loge, ma bouteille d'eau à la main, et je m'étais posé contre le rebord de la fenêtre. J'aurais pu sortir une cigarette, en fumer deux ou trois même, l'endroit et le moment étaient parfaits. Mais seul problème, je ne fumais pas. Non pas que ce soit un problème d'ailleurs. Mais cela ne m'avait jamais vraiment intéressé. L'alcool, pourquoi pas, c'était bon, ça rendait un peu taré et le lendemain on avait super mal à la tête, mais ça passait. Alors que la clope, ça faisait quoi, à part noircir les poumons ? C'est pas pour rien qu'il y a des Fumer Tue sur tous les paquets. Et pourtant personne ne semble le prendre en compte. Comme s'ils ne savaient pas lire. Comme s'ils ne se rendaient pas compte que le paquet qu'ils achetaient était leur feu vert pour le chemin direct de la mort. Non, ils continuaient, paquet sur paquet, à se détruire les poumons. Je ne niais pas avoir déjà essayé, en soirée, quelques fois. Mais j'avais assez de force pour résister, dire non à ceux qui m'en proposaient, même tenter de les dissuader de continuer, en vain. Ils se moquaient, haussaient les épaules et s'en grillaient une autre. Tant pis pour eux. Moi j'avais toute ma vie devant moi, c'était pas pour la gâcher avec des conneries.

J'en étais là de mes réflexions lorsque j'entendis une voix féminine venir d'en bas. Fronçant les sourcils, je me dirigeais vers la balustrade, d'où j'avais une vue parfaite de la salle, et de l'entrée de la loge, l'étage en dessous. C'est avec surprise que je découvris alors Scarlett, faisant les yeux doux à mon garde, qui la laissa passer après une petite discussion que je n'entendis pas. Un sourire naquit sur mon visage. Celle-ci alors, elle me surprenait toujours. Mais je n'avais plus envie d'être gentil. Moi aussi j'avais mon orgueil, et quand une fille vous ignore royalement, ça donne pas envie de lui reparler. Elle croyait quoi, qu'à moi aussi elle allait faire les yeux doux, passer ses doigts sa sa magnifique chevelure rousse, cligner des yeux et c'était bon ? Je ne dis pas n'y avoir jamais succombé, car ce serait faux. Bien des fois j'avais pensé à Scarlett autrement que comme une amie. Mais notre relation si changeante ne me permettait pas de faire deux pas en avant, en ayant déjà fait un étant un exploit. Bref.

La jeune Lewis fit enfin son apparition devant moi, avec un petit sourire, et le salua. Vive l'excuse. Je soupirais, puis me retourna pour m'accouder de nouveau contre la balustrade. Un petit silence s'installa avant que je me décide à parler.

- Alors comme ça, t'as fait du charme à mon garde ? Pourtant il est pas facile lui. Tu lui as dit quoi ?

Mon garde était connu pour ne jamais laisser passer personne. Même des amis à moi avaient poireauté une heure avant qu'il décide à les faire monter. Et la voilà qui était passée en cinq minutes ? Sans le vouloir, fallait bien que j'avoue qu'elle avait fait fort.

J'étais pas de ces mecs-là. Mais si vous savez, de ces mecs là toujours grincheux et rageurs qui se tapent des filles et n'en ont rien à faire, s'en vantant auprès de leurs potes. Nan, moi je prenais certes du plaisir à passer la nuit avec des femmes, mais je ne les utilisaient pas. J'avais des sentiments, et j'en était surtout conscient. Pour moi, tous ces bad boys étaient ridicules, à se montrer plus fort que tout le monde, à faire croire qu'ils ne ressentaient rien. Un jour ça va leur revenir dans la figure et j'vous dit, ce sera pas beau à voir. Moi je suis le genre de mec sympathique, jovial, dragueur, mais surtout assez rancunier. On me fait quelque chose, je le retiens. Avec Scarlett en l'occurrence, ce n'était pas de la rancune haineuse, mais juste une manière de lui faire voir que je n'acceptais pas qu'on me manipule. De son côté, ce devait être bien pareil, avec sa petite manie de vouloir tout dominer. De puis tout ce temps qu'on se connaissait, on avait bien appris à vivre avec l'autre, et on savait bien qu'on ne restait pas fâchés très longtemps.

Quand je lui demandais comment elle avait réussi à berner mon garde, elle s'installa à mes côtés contre la balustrade et un sourire malin apparut sur ses lèvres. Si je doutais de ses capacités ? Ha, depuis le temps, pas du tout. Elle avait toujours ce qu'elle voulait. Comme quand on allait à l'épicerie et qu'elle suppliait le vendeur de lui offrir une sucette. Ce souvenir me tira un sourire, mais je gardais mes yeux sur la foule, encore toute chaudasse à se frotter les uns aux autres. Ha, quelle génération.

Je vis qu'elle tournait la tête vers moi, mais je restais immobile. Je ne voulais m'avouer vaincu aussi facilement, même si au fond de moi, j'étais en train de sourire aux actions de la jeune rousse. Elle se moqua alors du garde, et je ne pus  retenir un pouffement de rire. J'imaginais  très bien la tête de Mike en bas, et je avais à présent quoi utiliser si jamais j'avais besoin de quelque chose. Une petite allusion au sujet et hop, le grand baraqué lui céderait ses caprices. Garde en plastique, oui. Mais il avait l'avantage d'être très bavard et cela me permettait de ne pas m'ennuyer quand les soirées étaient trop longues.

- Toi alors, tu changeras jamais. Lui dis-je en la regardant finalement, le sourire en coin. Je m'étais retourné, adossé à la balustrade, faisant que je faisais face à la jeune Lewis, qui, je ne pus m'empêcher de le remarquer, était bien sexy.

- Et c'est pour qui que tu t'es faite aussi belle ce soir ? Fais gaffe, je vais être jaloux. La taquinais-je. Mais au fond, peut-être que je le pensais. Peut-être pas. Je n'avais jamais été vraiment sûr de mes sentiments, surtout envers Scarlett. On dit souvent que les amitiés fille-garçon ne marchent jamais sans avoir eu au moins une fois des sentiments. Si mon amie en avait, j'en savais rien. Mais même si on en avait l'un pour l'autre, la relation ne marcherait certainement pas et on finirait par briser notre amitié. Donc bon, vaut mieux éviter.